BRETIN Frédérique – « Je suis morte à Auschwitz et personne ne le voit »

Sa biographie

Frédérique BRETIN

Née en 1962 à Compiègne (60).
Diplômée de l’École Nationale Supérieure de la Photographie d’Arles en 2011.

Expositions
2016 Résonances; Espace culturel François-Mitterrand, Périgueux (24) ;
Résonances, Galerie Sainte-Catherine, Rodez (12) ;
Des lieux, Musée de la Résistance, Limoges (87) ;
Fait partie des dix artistes sélectionnés à la
Quinzaine photographique Nantaise.
2015 Résidence et exposition, Couvent de Massip. à Capdenac-Gare (12).
2013 Des lieux, commande et exposition.
2012 Archives départementales de Dordogne (24).

Son univers

« Être artiste s’est imposé à moi. J’y suis arrivée sur le tard, mais je ne m’imagine pas faire autre chose, c’est une préoccupation de chaque jour. » Les premières expositions de cette artiste photographe datent de 2001. Frédérique Bretin a découvert le huitième art en amateur, en a acquis les techniques pour poursuivre ses recherches. Après ses premiers travaux en argentique — Surface, Hors champs — , elle passe au numérique : un ordinateur, une imprimante pour des tirages de qualité galerie et un appareil photo à focale fixe posé sur pied.
« C’est un parti pris. Je n’aime pas les gros appareils réflex. Je fixe un cadre précis, que je ne retravaille pas. »
La question du vide et de l’absence l’occupe depuis toujours. « Le vide suggère autant le manque, l’absence, le hors champ, l’invisible, qu’un espace de projections mentales à investir.
« En 2009, grâce à une bourse de la DRAC, elle part en Laponie Arctique, où elle ne trouve pas autre chose que le vide qu’elle fixait déjà ici. Elle s’ancre dans un travail plus conceptuel que figuratif. En 2011, les Archives départementales de Dordogne lui passent commande pour accompagner une collecte de témoignages sur la Résistance : elle parcourt les lieux cités par les témoins, des paysages sans trace visible. La photographie s’accompagne d’une note sur le lieu, l’événement et la date. « Je me place dans une temporalité actuelle, je regarde l’endroit en ayant en tête ce qui s’y est déroulé. Ce que je sais réactive le passé dans le présent exempt de traces. L’idée est d’observer des espaces avec ce qu’ils contiennent en profondeur. »
Un intérêt pour l’histoire s’ajoute alors à sa préoccupation plus large pour les lieux. La quête mémorielle de Frédérique Bretin continue en 2014 en Pologne. L’histoire poursuit l’artiste, et inversement : en 2015, elle est invitée en résidence à Capdenac-gare, dans l’Aveyron. La série Couvent de Massip témoigne du courage des religieuses qui ont caché plus de 70 enfants juifs de 1942 à 1944.
L’artiste imagine les espaces à la fois comme une surface (la peau du paysage), un décor (ce qui a poussé ou que l’homme a construit) et une profondeur (l’Histoire et les histoires). Elle s’est retrouvée dans la lecture de Vide et plein de François Cheng. « J’aime l’idée de suggérer.
Mon vide sert à cela… Apparemment, mon vide est plein », sourit-elle. Un livre est en préparation, en lien avec l’Agence culturelle Dordogne-Périgord, à paraître en 2017 avec des textes de Michel Poivert. D’ici là, Frédérique Bretin poursuit son travail sur l’invisible. Elle se demande maintenant comment le paysage change d’une région à une autre et veut en trouver la limite imperceptible. « C’est encore dans la profondeur que cela se passe. On touche aussi à une géographie humaine, dans le fait d’être de quelque part. »

A propos de l’œuvre

Série « Je suis morte à Auschwitz et personne ne le voit. » Photographie, 100 x 150 cm – 2014 Œuvre acquise par le Conseil départemental de la Dordogne en 2016

Série « Je suis morte à Auschwitz et personne ne le voit. »
« À quelques kilomètres des camps de concentration et d’extermination nazis d’Auschwitz-Birkenau en Pologne, une vaste entendue de marais fait aujourd’hui partie du réseau Natura 2000, sites européens identifiés pour leur flore et leur faune exceptionnelles.
Dans un ensemble de trois ouvrages intitulés : Auschwitz et après, Charlotte Delbo, résistante française déportée en janvier 1943, témoigne qu’en ces lieux des commandos disciplinaires, composés d’opposants et d’indésirables assujettis à un programme d’anéantissement par le travail, creusaient des fossés de drainage pour assainir ces marais, puis en fertilisaient les terres une fois asséchées avec des cendres humaines. Le travail détourné de son caractère utilitaire jusqu’au non sens, le recours à la terreur dans chaque aspect du quotidien constituaient les rouages d’une stratégie de déshumanisation méthodique. Ce plan procédait à la déchéance physique de l’homme, à son dépérissement moral jusqu’à ce qu’il soit vidé de désir, de raison, de mémoire, de faculté de penser, visant ainsi l’anéantissement de sa substance humaine.
En mars 2014, je me suis rendue au camp d’Auschwitz-Birkenau pour rechercher ces marais dont parle Charlotte Delbo. J’ai découvert un vaste territoire d’étangs marécageux, traversé par de nombreux chemins, jouxtés par les terres agricoles fertiles entourées de profonds fossés de drainage. Éloignés de la monumentale infrastructure du camp de Birkenau – sidérante dans son impensable intention et son inconcevable sur-dimension – ces marais muets et silencieux, dans leur aspect visuel actuel, font écho au sentiment d’absence au monde que fut la vie des survivants, à l’écueil d’une mémoire pétrifiée et à la tâche difficile de décrypter le présent. »

« Je suis morte à Auschwitz et personne ne le voit. », titre extrait du livre de Charlotte Delbo : Auschwitz et après : Mesure de nos jours, Éditions de Minuit, 1971.